Tinder en 2032, ça fait encore des matchs

Kumiko + Rune

Rune était stressé comme jamais. Cela faisait au moins trois ans qu'il n'avait pas eu un rencard avec une femme. Et il n'était pas dans un bon état d'esprit pour ce rendez-vous.
La mort du patriarche Eindhoven la semaine dernière avait été énergivore chez OWL. Les réunions se sont succédées pour établir un plan d'action. Entre-temps, la famille du psychiatre avait effectuée le trajet depuis la Norvège pour les fêtes de Noël. Rune avait été heureux de serrer son frère dans ses bras et de gâter sa nièce. Evidemment, son jumeau lui avait demandé ce qu'il en était des relations amoureuses de son frangin. Celui-ci ne fut pas mécontent de lui annoncer qu'il avait rencard.

Et quel rencard.

La semaine dernière, juste avant la mort du patriarche, Rune s'était confié à Hadès sur ses difficultés pour discuter avec les femmes. Il expliquait avoir essuyé plus de rejets que de déclarations, et cela l'avait impacté. Evidemment il souhaitait effectuer une rencontre, mais il n'avait pas le temps. Il s'était abstenu de lui raconter que sa plus belle femme était OWL. Il dédiait toute son énergie à l'organisation. Et sa routine était bien trop calculée pour qu'un élément aussi perturbateur qu'une relation puisse venir tout perturber.
Hadès lui avait alors rétorqué quelque chose comme "allez mon cochon va serrer d'la meuf, je t'ai inscris sur Tinder". Face à la situation, Rune n'avait pas eu le choix que de se plier au jeu du site de rencontre. Celui-ci avait eu plusieurs modifications depuis sa créations, les profils étaient plus détaillés. Et ça gênait Rune. Il ne voulait pas que des patients le reconnaissent. Il avait alors opté pour une photo où on le voyait de dos, mais où on pouvait deviner sa silhouette. Il avait également mit un même de dinosaures, pour souligner sa personnalité.
Finalement, lui et une femme avait matché. Le psychiatre avait tout de suite été séduit par la demoiselle. Ses lunettes lui donnait un aspect sérieux qui plaisait au psychiatre. Elle avait utilisé des mêmes dans leurs échanges écrits, ce qui avait eu le mérite de dérider le masque permanent du psychiatre. Et il y a une semaine, voilà qu'ils avaient décidé d'un repas dans un restaurant japonais bio qui proposait du vegan pour le 28 décembre au soir. Ils souhaitaient attendre que les fêtes de Noël passent.

Léon, le frère de Rune, qui était encore en ville, avait aidé son jumeau à s'habiller. Le blond avait passé l'après-midi dans sa salle de bain à se préparer. Il s'était rasé de près et il émanait de lui une légère odeur d'eau de Cologne. Il avait coiffé ses cheveux blonds en arrière, sa coiffure signature. Elle lui permettait de dissimuler les mèches blanches naissantes ainsi que de donner à son visage une expression sérieuse. Les traits de sa mâchoire étaient secs, les os de ses joues saillants. S'il ne souriait pas un peu, il avait des allures d'un énième méchant dans James Bond.
Il avait mis les lunettes de côté. Il n'avait pas envie d'avoir trop l'air plus âgé que son rendez-vous. Après tout, Kumiko avait 25 ans. Quand il en avait parlé à Hadès, celui-ci avait rit très fort, comme d'habitude, et encouragé son camarade à foncer malgré tout. Rune voulait tout de même avoir l'air plus jeune que son âge. Il évita la cravate ou le nœud papillon, à son plus grand désarroi, et était parti sur une tenue décontractée à son sens. Il portait une chemise crème Armani, ainsi qu'un pantalon chino noir, qui tombait en coupe droite sur ses chaussures lustrées. Un blazer noir lui permettait de lutter contre le froid, tandis que des bretelles Gucci venaient apporter un peu de dynamisme à sa tenue trop sobre.

Echarpe et manteau pour se couvrir, Rune avait quitté son appartement en avance. Il habitait à dix minutes à pieds du restaurant. Les températures glaciales réveillaient le teint uniforme de l'homme, pigmentant ses joues de rose. Les mains dans les poches, faussement décontracté, Rune s'approcha du restaurant. Il avait le coeur qui battait la chamade, nerveux. A vrai dire, il ne mettait pas un grand enjeu dans ce rencard. Il n'espérait pas spécialement embrasser Kumiko ou autre. Il appréhendait cette rencontre plutôt comme un exercice de communication avec la gente féminine.
La neige des derniers jours avait verglacé le trottoir, Rune devait faire attention en marchant.

Il eut l'impression d'arriver le premier au restaurant. Il regarda à travers la vitrine, tentant de chercher sa brune. Il faisait si froid que de la buée se cristallisait devant sa bouche quand il respirait. Il semblerait qu'il était arrivé en premier. Bon sang, ce que c'était angoissant.

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Kumiko + Rune

Rune, même lors de son temps personnel, restait un agent expérimenté de OWL. Il était attentif aux bruits de la rue. Le crissement de pneus sur l'asphalte, des conversations entendues à la dérobée, le craquement des pas des passants sur le verglas. Une sonorité de talons contre le trottoir se fit de plus en plus ample, comme si quelqu'un était en train de s'approcher de l'homme.
La théorie de Rune se confirma lorsqu'il entendit une voix féminine s'adresser à lui :

- Elle ne viendra pas, vous faites peur avec votre carrure de Sarcosuchus.

Le plus grand reptile du Cétacé ? Rune tourna lentement le visage vers la femme qui venait de mentionner l'imperator des crocodiliens. Il reconnut aussitôt Kumiko. Il pensait sa chevelure noire comme l'ébène, mais les photos étaient traîtres car il avait en face de lui une élégante dame aux reflets verts dans les cheveux.
Ses traits asiatiques étaient plus évident en face à face qu'en échange de photographies également. L'amande de ses yeux n'étaient en rien gâchés par ses lunettes. Rune apprécia tout de suite ce regard qui venait adoucir un visage aux traits plutôt sévères. Il venait apporter de la nuance aux expressions de Kumiko.
Alors qu'il la détaillait, surpris par cette première prise de parole, Kumiko se mit aussitôt à rire. Elle se moquait de lui ? Il avait loupé un élément ? Il cilla à plusieurs reprises, essayant de comprendre. Ca lui donnait un air un peu benêt, comme s'il était un touriste perdu dans une grande ville.

- Je plaisante, bien sûr... Alors, on y va ?

Elle était aussi spontanée que pendant leurs échanges, ce qui avait tendance à déstabiliser Rune. Il avait appris à s'adapter en fonction des conversations en tant qu'agent, mais même là, l'entraînement ne fut pas particulièrement efficace. Rune avait du mal à saisir les subtilités du langage et de la conversation. Ce n'était pas pour rien qu'OWL lui avait attribué un rôle d'hacker, isolé, sans besoin de converser.
C'était pour cela que les personnes spontanées, comme Hadès, mettaient autant Rune dans l'embarras qu'elles ne lui suscitaient une certaine forme de fascination.
Rune n'avait pas bougé d'un iota, malgré l'avance de Kumiko. Ne connaissant que la formalité, il tendit sa main à son rendez-vous :

- Bonsoir, Kumiko ? Je suis Rune.

Etant à une plus grande distance qu'elle que toute à l'heure, il put se rendre compte de sa silhouette. Il apprécia aussitôt l'élégance et la grâce que venait définir sa tenue. Malgré ses épaules musclées, la simplicité de sa robe noire apportait de la prestance à la silhouette, en contraste à sa musculature. Il n'avait pas remarqué qu'elle était aussi sportive. Ouf, ça leur faisait un nouveau point commun.
Après les présentations, Rune ouvrit la porte du restaurant avec galanterie, laissant passer sa dame en premier.
Il la suivit de près, mains dans les poches de sa veste.
Le lieu était sublime. Des estampes japonaises décoraient les murs, en harmonie avec les tons blancs et rouges du restaurant. Des lustres pendaient au plafond, mais la luminosité était étrangement tamisée. Peut-être grâce aux bougies sur les tables ?
Un serveur les accueillit, et Rune prit à nouveau la parole :

- Bonsoir, j'avais une réservation pour deux, au nom de Folland.

Le serveur trouva leur nom sur une tablette dernier cri, et les guida à leur table. Il proposa de les débarrasser de leurs manteaux. Rune remercia le serveur et laissa Kumiko choisir sa place, avant de s'installer face à elle.
Et désormais, c'était la panique. Devait-il lui demander comment elle allait? Devait-il prendre les devants sur le choix des plats ? Devait-il faire un compliment sur sa coiffure ? Bon sang, c'était si compliqué de réfléchir. Kumiko ressemblait vraiment à une femme, avec cuisses, des seins, de la peau. Elle avait tous les attributs qui perturbait Rune.
Il se racla la gorge pour se donner contenance. Allez, tout ceci était un entraînement après tout.

- Tu es venue à pieds ?

Terriblement banale comme question, il en était conscient. Elle, elle avait fait une superbe entrée en lui faisant une référence aux dinosaures. Et lui, il lui demandait de quelle façon elle était venue. Pitié, la soirée serait longue s'il continuait ainsi.

Tinder en 2032, ça fait encore des matchs

Kumiko + Rune

Si Rune avait pu se planquer sous la table, il l'aurait fait. Il était moins stressé lorsqu'il participait aux tortures de OWL, en cherchant à extraire des informations à des ennemis, que pendant ce rendez-vous galant. Il repensa aux conseils d'Hadès et se dit que, définitivement, il ne pouvait pas abaisser son pantalon afin de dévoiler son service trois pièces. Hadès lui avait expliqué que si l'alchimie entre les deux amants était sur la même longueur, alors dès le premier soir, il pouvait montrer son anatomie à sa compagne. Mais Rune rougissait violemment en se projetant en train de se dénuder devant Kumiko. Il était peut-être un agent de OWL, il se doutait que Kumiko le frapperait s'il jouait les exhibitionnistes. Et comme il était fragile, il aurait laissé l'asiatique lui mettre une droite.
Il faisait si chaud dans ce restaurant. Rune tira sur son col de chemise pour le défaire légèrement, laissant passer l'air sur sa peau et lui donnant l'impression de mieux respirer.

- Non, j'ai une voiture. Je n'ai pas sorti la moto vu le temps dehors,...

Une moto ? Il était rare de voir des femmes à moto. Mais il fallait avouer que Kumiko dénotait du reste du genre féminin. Elle était musclée, avait des références dinosauresques, et désormais elle conduisait une moto. Elle était différente du dernier rencard de Rune : une blonde qui lui avait parlé de son institut de beauté pendant des heures. Il n'avait jamais conclu avec cette femme, mais il était devenu un expert dans la théorie de l'épilation du sourcil.
Ne sachant pas quoi dire, Rune sortit discrètement son téléphone de sa poche et pianota sous la table un message à Hadès.


Au moment où il envoya le dit message, le serveur arriva avec les menus. Rune poussa un soupir de soulagement et le parcourut aussitôt. Il avait repéré sur le site internet des makis végétariens. Rune le trouva sur le carte et sourit. Le choix était varié, à son plus grand plaisir.

- Alors, comment s'est passée la journée du mystérieux docteur Grant ?

Derrière la carte, Rune leva un sourcil. Le papier cachait son sourire. Elle savait comment détendre son compagnon bancal. Ils avaient beaucoup plaisanté par messages autour de Jurassic Park.

- Bien, je te remercie. Et toi ?

Bon sang, pourquoi était-il aussi formel ? Il se souvenait avoir envoyé plusieurs mêmes à Kumiko avant aujourd'hui. Pourquoi en face à face, il n'arrivait pas à se dérider ? Il se tenait droit, comme le psychiatre qu'il était. Mais Kumiko n'était ni sa patiente, ni une soupçonnée mafieuse à analyser. Les seules fois où Rune arrivait à détendre ses épaules, c'était avec sa famille. Peut-être pouvait-il s'inspirer de cela ?
Le serveur revint pour les commandes. Rune demanda le menu maki végétarien - le M3 - et commanda une bouteille de Saké pour la table. Il avait en tête de payer le repas de Kumiko à la fin de la soirée de toute façon.
Pendant que son rencard prenait commande, Rune baissa à nouveau les yeux sur son téléphone. Dans ses notes, il avait inscrit différents conseils d'Hadès. Celui-ci lui avait donné des phrases d'accroche en cas de difficultés. Rune hésita. Il ne se voyait pas les dire. Mais en même temps, comment agir une fois le serveur parti ?
Rune prit son courage à deux mains et d'une voix fébrile, dit à Kumiko :

- Est-ce que tu aimes les mathématiques ...? Parce que après ce repas nous pourrions soustraire nos vêtemen-

Il se coupa lui-même et posa son téléphone sur la table, cessant de le dissimuler. Il se pencha et adressa une expression confuse à l'asiatique.

- Désolé, un ... genre d'ami m'a donné des phrases à dire en rendez-vous, mais je suis incapable de dire ça. J'aurai l'impression de te manquer de respect. Pourtant c'est un professionnel de la drague, je devrai peut-être vraiment appliquer ses conseils mais ... comme je te l'avais dit par messages, je ne suis vraiment pas doué à ça.

Il fronça son nez dans une grimace confuse. Heureusement pour le sauver, le serveur apporta le saké.