Give Me Tough Love

Alice Aux Pays des Merveilles + Monsieur Citrouille

Alors que le manoir était loin derrière elle, Kassie fit un bref inventaire mental de la perspective de cette soirée. Voyons voir, elle avait peu mangé et beaucoup bu. Heureusement, elle avait une tolérance à l'alcool assez élevée. Elle était clairement consciente de ses gestes. Mais cette conscience faisait conflit avec l'état grisant qui prenait possession de ses pensées. C'était ce qu'elle aimait, Kassie, avec l'ivresse. Pas celle qui te fais vomir le lendemain d'une cuite. La petite ivresse de nuit, où tu ris un peu plus fort que d'habitude. Cet état-là permettait à Kassie de se libérer du code moral sans culpabiliser. Ajoutons cela à l'anonymat, et elle embrassait cette nuit avec impatience.

Symboliquement, le fait d'avoir le manoir dans son dos et de s'en éloigner lui donnait l'impression de mettre Ethan, Rachel et tout ce petit monde derrière elle aussi.

Son skate sous le bras, elle s'interrogeait tout de même sur son allure. Elle aurait voulu se sentir jolie, dans sa longue robe bleue. Malheureusement, elle cassait un peu avec les codes vestimentaires.
Elle marchait à côté de Monsieur Citrouille. Quand ils avaient quitté le bal, leurs mains étaient enlacées. Mais Kassie était mal à l'aise avec ce type de contact. La main c'était intime, connecté aux émotions. Et les sentiments, c'était quelque chose qui embarrassait Kassie, qui était de trop. Elle remonta alors ses doigts le long du bras de son partenaire et s'y accrocha. Elle approcha son corps de ce bras, l'air de rien. Ils finissaient leur conversation précédente, avec nonchalance. Kassie menait le pas malgré tout, les guidant au fur et à mesure vers le quartier Wanhoop.

- A mon avis, cette bataille de fin de soirée, c'était de la comédie. Après tout, il y a bien eu un spectacle juste avant C'était une façon adroite de dire aux invités de partir, poursuivit-elle alors qu'ils débriefaient du bal.

Alors qu'ils quittaient le quartier du centre-ville, les rues étaient soudainement plus étroites et moins éclairées. Les vitrines des magasins de luxe furent remplacées par des devantures de bar à l'ambiance bien installée. L'odeur de cannabis était de plus en plus présente au fur et à mesure qu'ils s'enfonçaient dans le cœur du quartier.

- Oh, laisse-moi te montrer un endroit, si tu as le temps.

C'était une excuse, évidemment, pour l'amener à un lieu plus propice à l'intimité.
Bizarrement, cette promenade dans le quartier, suspendue au bras de Monsieur Citrouille, n'était pas désagréable. Kassie détestait le quartier Wanhoop, qu'elle devait traverser plusieurs soirs par semaine pour son travail au Petit Théâtre. Mais là, c'était différent. La nuit paraissait moins sombre. Elle avait l'impression qu'on la regardait moins de travers, de moins subir de regards lubriques. C'était un super-pouvoir de marcher auprès d'un homme, en tant que femme, la nuit. C'était sécurisant.
Au fur et à mesure qu'ils s'approchaient du lieu cible de Kassie, elle sentit une émotion grossir dans son ventre. Ca venait lui chatouiller les jambes, faire palpiter sa poitrine. Elle avait un peu plus chaud, soudainement. C'était quand la dernière fois qu'elle avait couché avec un inconnu ? Il lui semblait que c'était à l'automne dernier, dans un bar. Ou plutôt, dans les toilettes d'un bar. Elle se souvenait de l'odeur puissante de l'urine, du carrelage collant, de la peur que la porte s'ouvre. Elle se souvint s'être mordue l'intérieur des joues pour être le plus silencieuse possible alors que l'autre poussait des râles gras dans son cou.
Clairement, elle avait eu mieux.
Mais elle avait aussi eu pire.
Alors elle ne craignait pas de se laisser aller avec un étranger. Au contraire, Monsieur Citrouille dégageait une aura rassurante, malgré sa confession sur sa drôle de tentative de meurtre.

- C'est là, indiqua-t-elle.

Elle le lâcha et désigna la porte arrière du théâtre. Elle sortit les clés avec une expression victorieuse sur le visage. Elle les inséra et entre-ouvrit la porte mais s'arrêta. Elle hésita. Puis releva la tête vers son cavalier, sérieuse.

- Au fait, interdiction de retirer nos masques.

Elle plongea son regard dans le sien pour marquer l'importance pour elle de garder l'anonymat. C'est alors qu'elle se rendit compte de l'éclat vert des yeux de Monsieur Citrouille, luisant dans la nuit. L'orange du masque les mettait bizarrement en valeur. Kassie apprécia ce qu'elle voyait et se demanda si elle serait déçue en découvrant qui se cachait sous le masque. Avait-il une énorme excroissance ? Un tatouage de taulard ? Une cicatrice purulente ?
Elle ouvrit la porte en se disant qu'elle s'en fichait bien, en fait, ce qu'il y avait sous le masque de citrouille. Ce qui l'intéressait, ce soir, c'était ce qu'il y avait sous les vêtements de son acolyte...

Elle le laissa passer devant elle pour qu'il découvre les locaux du théâtre. Il n'y avait pas de représentation ce soir, ils seraient tranquilles. Le lieu étant vêtuste, il n'y avait aucune caméra de surveillance. Et comme Kassie avait fait passer Monsieur Citrouille par l'arrière du bâtiment, il n'en avait pas repéré le nom.
Et alors qu'il passait devant elle, débarquant dans les coulisses, la blonde referma la porte derrière eux. Et, discrètement, elle desserra le nœud à l'arrière de sa robe.