Qui se lançait dans une entreprise en ne connaissant que vaguement son collaborateur ? Ethan, bien sûr ! Il n'avait pas besoin d'en savoir plus sur Thomas sur ce projet, en dehors du fait qu'il était sympa et qu'il faisait du bon café et des bons gâteaux. Puis pour avoir un peu discuté de ce dog coffee par téléphone, il comprenait un peu plus le genre de personne qu'il était. Il n'était pas inquiet, et pour être honnête : ce n'était pas ce projet entrepreneurial qui allait ruiner Ethan. En revanche, ses parents et ses soeurs ne le voyaient pas du même oeil. Pour eux, c'était dangereux de mêler argent avec inconnu. Mais l'anglais fonctionnait bien trop à l'instinct pour écouter les avis raisonnés de sa famille proche. Surtout lorsqu'il allait passer ses journées à s'occuper de chiens et à apprendre à connaître de nouvelles personnes. Le paradis, pour cet extraverti !

Il s'était penché avec plusieurs agences immobilières sur de multiples emplacements pour ce café. Pour lui, il y avait plusieurs choses qui étaient essentielles pour la survie et la bonne construction de ce projet. La première, c'était la taille du lieu. Avec des chiens, impossible d'avoir un café intimiste et étroit. Il fallait une grande salle, peut-être même deux pour satisfaire les chiens et profiter d'un bel espace pour les futurs clients. La seconde était les cuisines, ou au moins un espace pour en créer une avec un accès facile à la salle et au comptoir de commandes. La troisième, et qui était surtout un caprice vu comme nécessité : un accès à un jardin cloisonné. Le but derrière était d'offrir, en été, une terrasse verdoyante aux clients et aussi un accès à la nature aux animaux. La quatrième était une pièce de vie pour les chiens en dehors du café accessible pour qu'ils puissent se reposer loin de la clientèle s'ils avaient besoin. Et enfin probablement un étage entier pour tout ce qui était lié à l'administratif et la réserve.
Pour ce qui était des travaux, il n'était pas inquiet. Il pouvait parfaitement supporter un tel coût.

Il avait réussi à trouver en plein centre de New Amsterdam un miracle : un lieu qui comportait toutes ses exigences. Il avait donné rendez-vous à Thomas le 17 décembre devant le bâtiment. Il était 17h, il avait réussi à partir plus tôt de son boulot pour la visite avec l'agent immobilier.

Le visage dans son écharpe, il voyagea sur son téléphone avec son index. Il avait hâte qu'il arrive pour rentrer au chaud à l'intérieur.
   

Il envoya un message à Hendrick pour lui dire qu'il attendait Thomas pour la visite. Il avait hâte de lui montrer le projet terminé. Il s'imaginait déjà passer ses week-end avec lui, assis sur les sièges du café à cajoler les toutous et à les couvrir d'amour. Et si, ça faisait l'objet d'un date... Il secoua la tête, comme si cela allait changer quelque chose. Plus ça allait, plus ses sentiments étaient forts, et moins il ne savait les contrôler. Quand il était avec Kassie, il faisait beaucoup de folies. Alors pour Hendrick, il s'attendait à un comportement similaire... Voire pire, car Hendrick l'accompagnait sans broncher dans ses excès. Parfois il l'encourageait ou l'y entrainait. Mais la fluidité avec laquelle ils partageaient leurs délires était agréable, naturelle.

Alors que ses pensées étaient imprégnées d'Hendrick, de son image et de son impact dans la vie du jeune lieutenant, une main amicale se posa sur son épaule. Il revint à la réalité, levant son visage et quittant l'écran de son téléphone pour rencontrer Thomas du regard.

- Eh champion. Ça va?

Ethan lui sourit à son tour, heureux de voir son partenaire de café. Son futur professionnel qui se déroula sous ses yeux en un visage. Une promesse un peu folle. Un refuge pour chiens à adopter, un endroit pour boire une boisson chaude. Une extension du café de Thomas, basée dans le centre ville.
Ethan était parfaitement satisfait de la tournure des événements.

- Ca va super !
- Désolé pour le retard… J’ai fait comme j’ai pu. Bon. On y va? J’te suis.
- Oh non non, t'excuses pas ! Anieke vient d'arriver, elle fait le tour des lieux. Alors, comment tu vas toi ?

Alors qu'il débutait la conversation, rangeant son portable dans la poche de sa veste, il poussa la porte pour pénétrer dans les lieux. Devant eux se dressaient une large pièce vide qui manquait cruellement de décoration. Les murs devaient être repeints, le sol était carrelé mais certaines tuiles étaient fissurées et quelques traces noires étaient présentes sur le plafond, signe du meurtre d'insectes. En dehors de ces petits soucis, le reste était de bon état. Ils avaient de la place pour attabler les futurs clients, mais aussi pour créer des allées pour le déplacement des chiens.
Ses yeux pétillaient. Son imagination dessinait devant lui l'architecture que pouvait prendre ce café. Les couleurs chaudes dont les murs pouvaient se revêtir. La nouvelle promesse pour la vie des chiens en besoin de famille.

Dans un élan, il prit le bras de Thomas pour l'emmener avec lui, lui expliquer sa vision :

- Là, on pourrait avoir l'entrée où on accueille les clients, et ici des tables de partout ! Dans le fond, ce serait la cuisine, là où on voit la porte. Mais je propose qu'on construise une sorte de petit muret pour faire un bar pour exposer tes pâtisseries et faire le café. Et par là, dans le fond, tu vois les portes vitrées ? C'est pour le petit jardin ! C'est ouf pour l'été et pour les chiens ! Bon, faudra les promener quand même, bien sûr, mais ça reste chouette !

En plein milieu de la pièce, il finit par rendre la liberté de Thomas, calmant son énergie. Il avait hâte de voir ce projet prendre vie, et il était intimement convaincu que cet endroit était parfait.
Mais, bien entendu, il fallait l'avis du principal intéressé. Alors, l'air très enjoué, il se tourna vers l'autre blondinet, les mains dans le dos :

- T'en penses quoi, toi ?
   

L'enthousiasme d'Ethan sur le projet était palpable. Il sautillait sur place comme un enfant dans l'attente de la validation de ses parents. Il était persuadé que toutes ses idées étaient bonnes, mais il ne voulait pas empiéter sur Thomas. Il n'était pas seul à vouloir ouvrir son dog coffee. L'avis de son nouveau collaborateur était important à prendre en compte, et il était grandement ouvert à la discussion.
Et sa réaction fut honnête : il ne le suivait pas vraiment. Ethan ne sautillait plus, une légère pointe de déception venait entacher son plaisir. "Du mal à imaginer" ?

- Déjà faut de la place pour une Marzzoco, deux frigos, une vitrine pas trop grande parce qu’on aura pas une carte infinie et une caisse.

Sans perdre patience, il opina farouchement. De toute évidence, le lieu était parfaitement capable d'accueillir tous les besoins du barista. Après tout, Ethan avait mis son agent immobilier sur la mission.

- ... Puis il nous faut de la place pour le café. Un endroit sec, à l’abri de tout où on stockera les sacs et sachets en papier gris et tout le matos. Il nous faut aussi des grills et un mini four…. Ahem… Un meuble pour le linge de cuisine.  Et aussi un coin pour poser nos affaires qui pourrait faire office de bureau… Ou un bureau à part. SI on compte tout ça, ça réduit déjà bien l’espace.

À nouveau, Ethan acquiesça. Il se retourna pour observer l'espace derrière lui, et de toute évidence cela ne poserait pas de soucis. Pour le bureau, l'étage était de toute façon, dans l'esprit du lieutenant, destiné à la marchandise et au personnel.
Thomas continua son discours au sujet des chiens. Ethan pouvait évidemment en prendre chez lui, ce n'était pas le problème. Mais Thomas semblait oublier que la plupart des toutous dans ce genre de café vivaient dans le café. D'où la nécessité d'une pièce privée pour eux. Ils ne pouvaient pas s'attacher à eux comme le but était de les adopter. Et Ethan se connaissait par coeur : laissez-le une heure avec un animal, et il ne lui faudra pas plus de temps pour signer des papiers d'adoption. Il ne pouvait pas se permettre une telle responsabilité, surtout avec Kassie dans leur colocation. Ce n'était pas concevable lui imposer une telle charge supplémentaire.

- Jveux pas d’une déco compliquée. Si le café c’est les chiens et le café, alors la déco on s’en fiche. Faudra un design neutre et simple. Tout ce qui est élaboré est compliqué, que ce soit en termes de nettoyage ou autre. Pareil pour la vaisselle. Tout doit être de la même couleur…

En revanche, il ne pouvait pas s'empêcher de froncer les sourcils, en désaccord. Quel était l'intérêt de faire une décoration neutre, dénuée de toute vie alors qu'ils étaient en train de construire un dog coffee ? Il fallait, au contraire, jouer sur l'aspect adorable des toutous. Leur cible était tout de même des dog lovers au minimum : c'était leur plus value par rapport aux autres cafés de New Amsterdam. Il faudra absolument tout donner là-dessus.
Quand il parla de faire couler du ciment, il ne masqua pas sa grimace. Du ciment ? Quelque soit sa couleur, cela restait du ciment. Pour marcher dessus, c'était tout sauf agréable. À la limité, il aurait préféré du lino, ou du carrelage.

- Le lieu est bien éclairé… Alors il faut un thème sombre; ça fera ressortir la couleur quand le soleil tapera. Un bleu roi, un vert sapin ou … Un gris fonte. Puis faudra un logo mais ça… C’est encore loin.

Et de nouveau, les sourcils froncés. Ne fallait-il pas, au contraire, profiter de la lumière ? Un dog coffee sombre ? Ils étaient en train de monter la maison de Dracula ou un dog coffee ?

- Je sais pas c’que t’en pense, toi, du coup. En tout cas, pour les chiens moi j’veux un Staffordshire et un Beagle.
- Hmmmm...

Ethan croisa les bras, en réflexion. Entre Thomas qui était trop dans le luxe de son café haut de gamme, et Ethan trop dans le côté adorable des chiens, des compromis allaient devoir être faits. Il en avait conscience. Il prit un instant pour prendre en compte tout ce que venait de dire le barista, les pieds ancrés dans le sol. Du ciment, c'était beaucoup trop froid. Des murs sombres, ça n'apportait aucune gaieté.
Il fallait être pragmatique.

- Pour la place, c'est pas ça qui manque. Et les chiens, on ne doit pas les amener chez nous : ils sont à l'adoption. D'où la pièce supplémentaire pour eux.

Il appuya son propos en montrant du doigt une porte qui menait sur une autre pièce. Il n'était pas fâché avec les quatre chiens, c'était le chiffre idéal et était d'accord avec ça. Pour tout ce qui était du domaine de Thomas et l'installation de son coin de travail : de même, il n'avait rien à y redire. De toute évidence, ça n'allait pas être Ethan qui allait pouvoir remplir les tasses des clients...
En revanche...

- Je pense que la déco que tu proposes sera trop froide et impersonnelle. Ce qui est dommage, parce qu'il faut pas oublier qu'on va accueillir des gens qui aiment les chiens. Et notre valeur ajoutée, si on compare avec les autres cafés de New Amsterdam : ce sont eux.

Il enfourna ses mains dans les poches, l'air peu convaincu :

- Je suis conscient que tu fais un café hyper quali, et que c'est une plus value aussi. Mais faire une décoration trop simple et froide, ça viendrait à dire qu'on aime pas les chiens. Je pense qu'il vaudrait quelque chose de plus chaleureux, et au contraire profiter de la lumière pour y apporter de la vie.

Ethan sortit son téléphone de sa poche, et tapa sur la bar de recherche des cafés semblable à leur idée. Des logos, des photos de lieux ressortaient et affichaient des résultats différents. Si le lieu était neutre, alors c'était les assiettes qui étaient de couleur, ou bien le mobilier qui était plus "fun" avec des palettes pour les tables, des coussins colorés... Et les murs n'étaient certainement pas sombre : ou seulement en partie.
Il s'approcha de Thomas afin de lui montrer ses exemples, et poursuivit :

- Après, rien ne nous empêche d'être différent d'eux, mais il faut se baser aussi sur ce qu'il se fait déjà. Enfin, je pense.

Beaucoup de ses mots étaient des conseils de ses soeurs et de ses parents. Parce que quitte à se lancer dans un projet aussi risqué, autant avoir l'avis d'experts sur le sujet.