I want That

La fenêtre est recouverte d'un voile de condensation. La voiture de Jojen qui me transporte jusqu'au quartier Maaeirs n'a pas eu le temps de chauffer l'entièreté de l'habitacle. Dans un réflexe enfantin, je lève mon index jusqu'au carreau, le laisse en suspension le temps de choisir mon futur dessin, puis trace une fleur. Ce simple mouvement me détend, me donne l'impression d'avoir encore le droit d'être Everdina, et ne pas être une mafieuse en mission.
Plusieurs pensées défilent dans ma tête. Je repense à Olivia, à ses drôles de yeux. Je pense à Ethan, que je pensais être un civil parmi d'autres mais s'avère être un policier du Zygomar. New Amsterdam a beau être une petite Capitale, mais elle est grande de par ses secrets.

Jojen, qui est un chauffeur plus bavard que ce qu'on m'avait décrit - peut-être parce que mon père était une pipelette ? -, me sort de ma rêverie :

- Comment vous vous sentez, Everdina ?

Je fais la moue. Croise son regard dans le rétroviseur du véhicule. Il sait pourquoi je boude. Je lui ai demandé tellement de fois de me tutoyer, mais il n'arrive pas à franchir cette étape.

- C'est ma deuxième mission officielle sur le terrain mais je pense que ça devrait aller. Je suis plus stressée par ma rencontre avec une célébrité que par la mission en tant que telle, je lui souris.

Il opine de la tête. Je me penche en avant pour m'adresser à lui, retenue par ma ceinture de sécurité. Je lui demande de me refaire un point sur mon identité à travers les autres familles. Jojen m'explique que mon visage était dissimulé au moment de ta mort Elijah, qu'on retient surtout le dos d'une femme à la longue chevelure châtain. Cependant, Katrijn me connaissant, il n'était pas incertain qu'elle ait décrit mes traits à sa Famille. Egalement, les réseaux sociaux, bien qu'en retard sur leur temps contrairement aux autres pays, font bien leur travail. Ma photo circule de plus en plus entre les mafias.
Après ses explications, je m'enfonce contre le fauteuil en cuir blanc et tourne la tête vers la fleur que j'ai dessiné. Les traits gouttent, abîmant le dessin. On dirait que ma fleur pleure.
Je suppose que ce sera donc quitte ou double : Bae pourrait très bien m'identifier du premier coup d'oeil, tout comme il pourrait n'avoir aucune idée de mon identité. Je sors une pièce de ma poche, la lance. Face il me reconnaît. Pile je suis incognito.
Le mouvement de la voiture m'empêche de bien réceptionner la monnaie. Elle tombe à mes pieds. Face. Zut.

- On est arrivés.

J'abaisse la vitre, effaçant alors toute la condensation qui me brouillait la vue. Un vent glacial me crispe le visage. Le studio des Maaeirs est un peu plus loin. J'ai fais travaillé un sous-boss sur l'emploi du temps de Baby. Des tueurs à gage, experts dans la discrétion et le stalking n'ont eu besoin que de quinze jours pour identifier les prochains déplacement de l'acteur. Il est sensé terminer un tournage dans quelques minutes. Jojen a volontairement pris une voiture inconnue de la mafia pour nous faire circuler jusqu'ici. Mais bon, je sais qu'il était content de cet achat. Le prétexte l'a bien servi.

- Souhaite-moi bonne chance, je lance à mon chauffeur.

Je rabats la capuche de mon châle blanc sur ma tête et sort de la voiture. Ca ne me dérange pas d'être repérée par les Maaeirs. Au contraire, le but c'est de venir jouer sur le terrain de jeu de Katrijn. Elle est intouchable. Donc si je veux pouvoir remonter jusqu'à elle, il va falloir que je pique sa curiosité, sollicite son intérêt. Le secteur de la pornographie est essentiel aux Maaeirs, c'est un domaine qui fait fructifier l'argent de cette mafia. Mon père s'amusait avec les prostituées de Katrijn. Il tapait au mauvais endroit. Katrijn peut faire prostituer qui elle veut, tant qu'elle a un peu d'informations sur les personnes. Une prostituée de moins, une prostituée de plus : le remarquerait-t-elle ? Par contre, qu'en est-il de la pornographie ? C'est le bijou des De Joonckeer. L'héritage familial. Et des célébrités comme Baby, on les remplace moins facilement qu'une courtisane.
Mon but aujourd'hui n'est pas de faire du mal à Baby -comment le pourrais-je ? Je l'aime trop -, mais simplement d'attirer l'attention de Katrijn. De commencer à lui faire peur. Elle vient sur mon territoire sans prévenir ? Je viens faire de même. Œil pour Œil, Katrijn ...
Alors non, ça ne me dérange pas que mon visage puisse être à découvert dans ce quartier. Mais je préfère attendre de voir Baby en personne avant d'abaisser ma capuche. Je ne voudrais pas qu'on m'interpelle dès ma sortie de la voiture.

En sortant de celle-ci, mes Uggs touchent une fine couche de neige gelée. Je sors avec précaution. Ma santé est fragile depuis la mort d'Elijah. Il ne fait aucun doute qu'une chute pourrait me casser un os. C'est pour cela que j'ai dissimulé mon corps sous des couches de vêtements. Je porte une longue robe blanche, dont la chute du tissu vient chatouiller mes orteils. Sous mon châle clair, j'ai enfilé un pull rose poudré, donnant l'impression à ma robe de n'être qu'une jupe. Gants crème et écharpe de la même couleur finissent de me réchauffer. Evidemment, derrière mon talon, coincé dans ma botte, il y a le Glock 17 de mon père. Au cas où. Je ne veux pas avoir à m'en servir.
Je ferme la portière, m'adosse contre elle, patiente. Et enfin je le vois au loin. Mon coeur s'emballe. Il faut que je fasse taire la groupie en moi. Lorsqu'il est à peu près à ma hauteur je l'interpelle :

- Baby ?

J'abaisse ma capuche et lui adresse un sourire.

- Est-ce qu'on peut discuter, toi et moi ?