Le Diable roule en Tesla

Kassie était seule dans la cuisine. Elle était inerte, face au micro-ondes qui réchauffait des restes du Nouvel An. Le plat serait sûrement sec.
Les bras ballants, le regard dans le vide, elle observait le décompte des secondes sur l'écran. Il n'y avait aucun bruit, si ce n'était celui de l'électroménager. Kassie n'avait pas de tournage cette semaine, ils étaient en plein dans un épisode où Laz était peu présente, le scénario se concentrant sur Loon et sa précédente relation. La blonde en profitait pour se reposer, bien que ses insomnies l'en empêchait.
Elle avait envoyé peu de messages à Psyché, se contentant de lui répondre par monosyllabes. Elle discutait avec Aevyn de sujets futiles et légers, comme si en début de semaine dernière celle-ci ne lui avait pas pointé une arme dessus. Elle continuait d'habiter avec Ethan, jouant celle qui ignorait qu'ils avaient de nouveau couché ensemble avant qu'elle ne soit en couple avec Psyché. Kassie se rendait compte que rien n'allait. Elle ne pouvait pas sauver Psyché. Elle ne pouvait pas aider Aevyn. Elle empoisonnait Ethan.
La sonnerie du micro-ondes indiqua que le temps de de réchauffe était terminé. Kassie ne bougea pas pour autant. Elle comprenait, progressivement, qu'elle avait un choix à faire avec Ethan. Tant qu'ils resteraient dans une relation ambiguë et indéfinie, ni l'un ni l'autre ne pourrait avancer. C'était soit ils se remettaient ensemble, soit ils se quittaient pour toujours. Et Kassie penchait pour la deuxième option. Tant qu'elle serait dans la vie de son ex, elle le tirerait vers le bas. Ils ne pourraient jamais être heureux dans leurs relations respectives s'ils continuaient à avoir une touche d'espoir inconsciente de renouer tous les deux.
Dire Adieu à Ethan serait l'un des pires moments de sa vie. Kassie allait sûrement profiter que l'épisode en cours ne soit pas centré sur Laz pour faire progressivement ses bagages.

Elle finit pas ouvrir la porte du micro-ondes. Elle observa le plat du traiteur, qui paraissait fade et terne une fois mis dans une assiette bon marché, dans cette solitude écrasante.
Kassie referma la porte et se dirigea dans sa chambre. Elle chercha son paquet de cigarettes, le trouva sous le matelas, se demanda comment il avait fini là puis l'ouvrit : il était vide. Elle poussa un soupir. Ferma les yeux. De toute façon, elle avait besoin de boire quelque chose. Elle faisait toujours en sorte de sortir accompagnée la nuit, pour éviter de croiser Katrijn de Jonckheer. Mais la supérette était bout de la rue. Elle ne risquait rien. Elle ferait ses emplettes rapidement.

Elle enfila un manteau par dessus son pyjama - son fameux pyjama de règles. Elle laissa le bonnet d'Ethan sur le meuble à chaussures, laissant ses oreilles décollées à l'air libre. Elle ferma le blouson et se gratta machinalement le poignet. Son eczéma refaisait surface. Elle mit ses plus belles bottes, vérifia qu'elle avait téléphone et monnaie dans la poche de son manteau, avant de quitter l'appartement. Elle se faufila dans l'ascenseur, croisa les bras. Elle aperçut son reflet. Elle n'était pas maquillée, mais sa peau était correcte. Surtout pour une période de règles, Kassie avait vécu pire. Par contre, elle ne s'était pas occupée de ses cheveux depuis le nouvel an, et ils avaient besoin d'un shampoing. Pour cacher la misère et passer le temps dans l'ascenseur, la blonde tressa ses mèches.

Pressée de consommer tequila et cigarettes, elle s'engouffra dans la nuit. Seulement, à peine fit-elle un pas dehors qu'une vitre de voiture s'abaissa à sa hauteur. Tous les sens de Kassie se mirent alerte. Sa silhouette se figea. Elle l'avait évité. Elle avait tout fait pour ne plus recroiser sa voiture. Elle savait que ce jour viendrait où elle devrait payer sa dette, mais elle ne pensait pas que ce serait aussi tôt ... Son père était encore en cure pour trois mois.
Elle serra les poings, hésita à envoyer un message à sa copine, puis elle se souvint que Katrijn de Jonckheer était un trigger pour Psyché. Elle ne pouvait pas lui imposer son nom à nouveau. Kassie laissa alors son téléphone dans sa poche et se résigna.

Elle se dirigea vers la portière ouverte, aperçut les lunettes de soleil de la Maire. Elle entra, s'assit en face de la propriétaire du véhicule. Elle faisait tâche dans tout ce luxe.

Elle observa Katrijn de Jonckheer. Elle avait la gorge nouée, les lèvres sèches. La peur l'empêchait de prononcer le moindre mot. Elle se contenta alors de contempler son futur bourreau, prête à encaisser sa sentence.